La plante du mois : Portrait d’une algue de l’entre deux mondes

La plante du mois : Portrait d’une algue de l’entre deux mondes

Le 19 septembre 2023

Plantes et rivages : portrait d’une algue de l’entre deux mondes
Nom vernaculaire : cystoseire stricte
Nom scientifique : Ericaria amentacea (C.Agardh) Molinari & Guiry 2020: 5
Synonyme courant : Cystoseira amentacea (C.Agardh) Bory 1832: 319
Famille : Sargassaceae Kützing 1843: 349, 359
« Groupe » (selon la couleur) : Algues brunes, Phéophycées
Cystoseire stricteFigure 1 : Vue sous-marine de la cystoseire stricte balancée par la houle
à la Pointe du Figuier au Domaine du Rayol en juin 2022. © Sarah Muttoni.

Il existe très souvent plusieurs noms pour une plante. L’un en remplaçant un autre en fonction de l’avancée des connaissances ; par exemple, quand on découvre que deux espèces que l’on croyait distinctes appartiennent en fait à une seule et même espèce ; ou que les individus que l’on croyait appartenir à une seule et même espèce se répartissent en fait entre deux espèces distinctes ; il faut alors trouver un nouveau nom pour une partie de ces individus. Le genre cystoseire (Cystoseira en latin) est rattaché à notre « Plante du mois » et a fait l’objet du récent ouvrage de Blanfuné et al., 2022 qui traite sous cette appellation (au sens large) des quelque 30 espèces et 10 infraespèces (subsp., var., f.) vivant en Méditerranée, en mer Noire et au nord-est des côtes atlantiques. Les outils moléculaires ont montré que l’ancien genre Cystoseira devait alors être scindé en trois genres différents : il en va alors du genre Cystoseira (au sens strict), du genre Gongolaria et de celui des Ericaria.

L’histoire d’un nom peut semer le doute si l’on veut savoir de quoi on parle. Ainsi, celui de ‘cystoseire stricte’ ne s’avère pas des plus représentatif pour notre « Plante du mois » puisqu’il dérive d’un ancien nom Cystoseira stricta, alors que notre algue s’avère rattachée au genre Ericaria depuis 2020. Le nom d’espèce ‘amentacea’ utilisé aujourd’hui provient du latin ‘amentum’ qui dérive lui aussi d’un ancien nom, Cystoseira stricta var. amentacea (Bory) Giaccone 1973. Ce nom évoque la fleur « en chaton » des chênes, des châtaigner ou des hêtres. En s’en tenant au nom de cystoseire (les genres s’avèrent morphologiquement proches), peut-être qu’il conviendrait alors de parler de ‘cystoseire à chaton’, (BOUDOURESQUE, com. pers.).

Il existe 8 espèces d’Ericaria en France selon Blanfuné et al., 2022. L’espèce E. amentacea, se caractérise principalement par le fait qu’elle soit fixée au rocher (et non libre dans l’eau), et que plusieurs rameaux partent de la base de la plante (fig. 2).

Ericaria amentaceaFigure 2 : Spécimen [24062022_02] isolé de la part d’herbier associée à l’espèce Ericaria amentacea (C.Agardh) Molinari & Guiry, 2020
récolté le 24 juin 2022 dans l’Aire Marine Protégée (AMP) du Domaine du Rayol sous la « Pointe du Figuier ».
Selon la clé de détermination (Blanfuné et al., 2022), on peut observer que :
A « l’espèce possède un organe de fixation » ;
et que B, il y a « plusieurs axes sur une base commune ».
Ces deux caractéristiques morphologiques associées à la localité de récolte permettent l’identification proposée.
© Jérémy Tritz, 08.2023.

La cystoseire stricte est une algue brune endémique de la Méditerranée, elle n’est donc présente naturellement que dans cette région du monde. On la trouve des Baléares à la Grèce en passant par les côtes françaises, la Sicile ou les côtes nord-africaines (fig. 3).

Répartition de la cystoseire stricteFigure 3 : Répartition de la cystoseire stricte selon le site « Global Biodiversity Information Facility », (GBIF)
et ses 2 264 occurrences. © GBIF, août 2023.

Précisons que « par ailleurs [bons nombres] de stations méditerranéennes ne sont pas citées, surtout dans l’adriatique et en Méditerranée orientale, où elles sont très nombreuses, la station en Angleterre est erronée », (BOUDOURESQUE, com. pers.).

Tout comme en montagne avec l’altitude, la mer est organisée en étages traduisant la répartition des organismes en fonction de la profondeur où ils vivent. Souvent brassée par les vagues, notre algue pousse jusqu’à 30 cm de profondeur (LAMARE & VERLAQUE, 2021). Cette zonation correspond à la frange supérieure de l’étage infralittoral (fig. 4 et 5).

Les étages marinsFigure 4 : Les étages marins et leur transition vers les étages terrestres en Méditerranée avec des exemples d’organismes représentatifs.
Simplifié de BOUDOURESQUE et. al., 2021. 
Ceinture et habitat typique de cystoseire stricteFigure 5 : Ceinture et habitat typique de notre « Plante du mois » entre le Domaine du Rayol et la Maison Foncin,
propriétés du Conservatoire du littoral au pied de la corniche des Maures.
© Jérémy Tritz, juin 2023.

Perdre son feuillage en automne n’est pas que l’apanage des arbres en région froide et tempérée. La cystoseire stricte adopte aussi cette stratégie adaptative. En hiver, quand ces rameaux sont tombés, il ne reste que la base fixée au rocher, d’où repartiront les rameaux. Les rameaux feuillés de la plante poussent au printemps. La fin de l’été laisse des sortes de tiges déjà sans feuilles.

Le Domaine du Rayol gère et conserve une Aire Marine Protégée (AMP) de 14 hectares depuis 2009. En lien avec le Parc national de Port-Cros, cet espace est valorisé en particulier par des visites en palmes, masque et tuba du « sentier marin ». Ces sorties subaquatiques sont conduites par des moniteurs de plongée du Domaine, durant lesquelles il vous sera tout à fait possible d’observer cette algue, en particulier l’été, (TRITZ & PASCAL, 2022).

Le rôle de l’espèce mise en lumière ce mois-ci est très important car elle crée son propre environnement à l’interface terre-mer. L’habitat ainsi constitué permet à d’autres organismes aquatiques de se reproduire, se cacher ou simplement manger. Les cystoseire sont en plus indicatrices d’une bonne qualité des eaux. C’est pour toutes ces raisons et leur raréfaction progressive que tout le genre au sens large [incl. Ericaria] est protégé par la Convention de Berne depuis 1979 (Annexe I) ; (Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe). Elle se retrouve aussi dans la liste des espèces en danger ou menacées en Méditerranée depuis 1976 grâce à la Convention de Barcelone (Annexe II) ; (Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée), (LAMARE & VERLAQUE, 2021).

Pour terminer, il convient de remettre les algues à leur place. Ce nom pourtant connu n’est qu’une convention de langage artificielle ne permettant pas de définir un quelconque groupe homogène, que cela soit sur le plan morphologique ou sur le plan évolutif, donc génétique […] (BOUDOURESQUE et al., 2021). Rappelons ici que les algues ne sont pas primitives selon les groupes dont on parle ; les « vertes » le sont un peu plus en effet, mais celles qui nous rassemblent ce mois-ci – les algues brunes – non. Elles possèdent même en ce sens d’ailleurs, des tissus vasculaires conducteurs de sève, au même titre que des plantes terrestres considérées comme plus évoluées bien souvent par le profane (que vous n’êtes plus depuis que vous lisez ces quelques lignes).

Macrocystis pyrifera

A.

Nereocystis luetkeana

B.

 

 

 

 

Figure 6 : Autre illustration des algues brunes (Phéophycées), plantes évoluées. Ici, échouées sur une plage de l’océan Pacifique Nord en Californie, non loin de Morro Bay. On peut voir sur la Photo A un seul spécimen de Macrocystis pyrifera (L.) C.Agardh, de plus de 6 mètres de long environ. L’organe de fixation à la base est un peu plus grand que celui de notre « Plante du mois » sur la figure 2 B… Cette algue bien connue représente le groupe des « Kelp » tout comme la Photo B montrant, quant à elle, un seul flotteur appartenant cette fois à l’espèce Nereocystis luetkeana (K.Mertens) Postels & Ruprecht. © Tao Ramsa, mai 2023. Voyage d’étude organisé sous l’égide du Domaine du Rayol.
Planche botanique de cystoseire stricteFigure 7 : Planche botanique du XIXe siècle illustrant notre « Plante du mois ».
Figure publiée dans Exploration scientifique de l’Algérie pendant les années 1840, 1841, 1842, J.B. Bory et M.C. Durieu. [PL. 2].
© Biblioteca digital Real Jardin Botanico.

Bonne baignade.

Jérémy TRITZ
Responsable scientifique, botaniste au Domaine du Rayol

Amélie TIENNOT
Volontaire en service civique Archiviste botanique

Remerciement :
Le Professeur Charles-François Boudouresque de l’Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO) à Marseille.
Bibliographie :
– ALGAEBASE as: Guiry, M.D. & Guiry, G.M. 2023. AlgaeBase. World-wide electronic publication, National University of Ireland, Galway.
https://www.algaebase.org
– BLANFUNE, A., VERLAQUE, M., BOUDOURESQUE, C.-F., ROZIS, E., & THIBAUT, T. 2022. Les forêts marines de France et de Méditerranée. Sciences technologies santé. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence.
– BORY DE ST-VINCENT, J.-B.-G.-M., & DURIEU DE MAISONNEUVE, M.-C. 1846. Exploration scientifique de l’Algérie pendant les années 1840, 1841, 1842.
https://bibdigital.rjb.csic.es/records/item/12937-exploration-scientifique-de-l-algerie-atlas?offset=
– BOUDOURESQUE C.F., PERRET-BOUDOURESQUE C.F., RUITTON S., 2021. Les algues marines en Provence : phylogénie, importance, vulnérabilité et protection. Ann. Soc. Sci. Nat. Archéol. Toulon Var, 73 (2) : 70-95.
– GBIF Global Biodiversity Information Facility. 2023. Ericaria amentacea (C.Agardh) Molinari & Guiry, 2020.
https://www.gbif.org/fr/species/12052648
– LAMARE V., VERLAQUE M. in : DORIS, 07/03/2021 : Ericaria amentacea (C.Agardh) Molinari & Guiry, https://doris.ffessm.fr/ref/specie/3540
– LA RIVIERE, M., MICHEZ, N., DELAVENNE, J., ANDRES, S., FREJEFOND, C., JANSON, A.-L., ABADIE, A., AMOUROUX, J.-M., BELLAN, G., BELLAN-SANTINI, D., CHEVALDONNE, P., CIMITERRA, N., DEROLEZ, V., FERNEZ, T., FOURT, M., FRISONI, G.-F., GRILLAS, P., HARMELIN, J.-G., JORDANA, E., KLESCZEWSKI, M., LABRUNE, C., MOURONVAL, J.-B., OUISSE, V., PALOMBA, L., PASQUALINI, V., PELAPRAT, C., PEREZ, T., PERGENT, G., PERGENT-MARTINI, C., SARTORETTO, S., THIBAUT, T., VACELET, J., & VERLAQUE, M. 2021. Fiches descriptives des biocénoses benthiques de Méditerranée. PatriNat (OFB-CNRS-MNHN). https://archimer.ifremer.fr/doc/00796/90751/
– MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET DE LA COHESION DES TERRITOIRES MINISTERE DE LA TRANSITION ENERGETIQUE. 2023, February 6. Le patrimoine marin et les aires marines protégées françaises. https://www.ecologie.gouv.fr/patrimoine-marin-et-aires-marines-protegees-francaises
– TRITZ, J., & PASCAL, P. 2022. La plante du mois : Acétabulaire, Ombrelle de mer. Domaine du Rayol. https://www.domainedurayol.org/la-plante-du-mois-acetabulaire-ombrelle-de-mer/
– UNEP UNITED NATIONS ENVIRONMENT PROGRAMME, & MAP THE MEDITERRANEAN ACTION PLAN. 1976, February 16. La Convention de Barcelone et ses Protocoles | UNEPMAP.
https://www.unep.org/unepmap/index.php/fr/who-we-are/barcelona-convention-and-protocols