La plante du mois : Limoniastrum monopetalum

La plante du mois : Limoniastrum monopetalum

Le 30 juillet 2019

Juillet : été, vacances, détente, plage… Il faut dire que le septième mois de l’année évoque bien des choses, et le département du Var correspond à merveille à ces associations ! Quel plaisir de s’étendre face à la mer Méditerranée sur une magnifique plage à l’eau cristalline… Mais à bien y regarder, vous n’êtes pas seuls sur ces plages, et encore moins les premiers ! Parmi ses occupants réguliers, on y trouve des arpenteurs diurnes et nocturnes, à poils, à plumes ou encore à écailles, mais d’autres encore ont littéralement pris racine en ces lieux. Amis plagistes, voici un habitué de longue date, j’ai nommé Limoniastrum monopetalum, le grand statice.


Des globe-trotteurs à fleurs

Vacances ou pas, un coup d’œil sur l’individu est nécessaire. Cette espèce appartient à la famille des Plumbaginacées, dont la consonance évoque effectivement le fameux plumbago, ou dentelaire (Plumbago auriculata), aux fameuses fleurs bleu ciel.
Cette appellation serait issue du latin plumbum, désignant le plomb. Dans les premières décennies de notre calendrier, Pline l’Ancien croyait que les plantes appartenant à ce genre pouvaient soigner le saturnisme, maladie provoquée par l’empoisonnement au plomb. Bien que non avérée, cette hypothèse a donné, par la suite, le nom du plomb à cette famille de plantes.
Plus de 750 espèces y sont référencées à l’heure actuelle, occupant une grande variété de paysages et donc soumises à divers climats. On peut ainsi trouver en Chine le plumbago de Willmott (Ceratostigma willmottianum), faire un détour du côté du Cap pour y rencontrer le plumbago – premier du nom – et terminer dans le bassin méditerranéen en compagnie du gazon d’Espagne (Armeria maritima). Autant dire que retrouver tous les membres de cette famille de « plantes plomb » est un exploit digne des croisières portugaises d’antan !
Mais pour en apprendre davantage sur notre plante du mois, il suffit de se cantonner au bassin méditerranéen. C’est au bord de notre « mer entre deux terres » que vit le grand statice, ainsi que quelques cousins tel les « petits » statices et les lavandes de mer (genre Limonium).


Bord de mer : le paradis ?

Limoniastrum monopetalumEn effet, nous avons là une plante qui vit réellement au bord de la mer, sur les falaises rocheuses ou bien directement dans le sable des plages. Idyllique, diront certains? Loin de là.
Le substrat qui s’offre au grand statice est soit rocailleux et sec, soit sableux et donc extrêmement drainant. Pour ce qui est de la captation d’eau, les conditions ne sont donc pas optimales.
Qui plus est, climat méditerranéen oblige, l’été apporte son lot de contraintes. Oubliez donc l’idée de se prélasser à l’ombre d’un parasol, la peau enduite de crème solaire pour vous protéger des rayons, ainsi qu’une bouteille d’eau à portée de main pour éviter la déshydratation. A l’échelle de notre plante, nous avons affaire à une exposition constante à un soleil de plomb ainsi qu’une chaleur étouffante et des épisodes venteux pouvant transporter des embruns marins. Mais le grand statice est une plante méditerranéenne, et de ce fait, présente de formidables adaptations à ces conditions de vie.
Souvenez-vous : un élément-clé de la survie des plantes méditerranéennes, c’est l’économie d’eau. Cette eau est naturellement évacuée au niveau des feuilles, via ces petites ouvertures que l’on appelle les stomates. On parle d’évapotranspiration, un mécanisme naturel et nécessaire, car la perte d’eau au niveau des feuilles va provoquer une sorte d’« appel d’air » qui va entraîner la montée de la sève, depuis les racines jusqu’aux parties aériennes de la plante.
Le tout est de maintenir un équilibre entre une montée efficace de la sève et une perte d’eau modérée. Et c’est là que les caractéristiques du feuillage entrent en jeu. Notre plante du mois possède des feuilles de couleur vert-gris, donc une couleur claire qui renvoie une partie de la lumière « chaude » du soleil. De plus, bon nombre de stomates demeurent fermés durant la journée, réduisant ainsi les pertes d’eau. Enfin, les feuilles sont disposées à la verticale, comme dressées en direction du soleil, réduisant ainsi grandement la surface exposée.
De cette façon, la plante est tout à fait apte à survivre à une pleine exposition au soleil. Cependant, la vie au bord de mer inclut d’être en contact quasi-permanent avec un élément potentiellement toxique…


Le sel : mortel mais salutaire

L’omniprésence du sel est un réel problème pour les plantes, et rares sont celles qui sont capables de vivre en milieu salé. Pourtant, tel est le cas de notre grand statice, qui est, de ce fait, qualifié de plante halophile.
Mais comment faire pour vivre dans un milieu imprégné d’un élément indésirable ? Il y a pour cela plusieurs options : empêcher son absorption, atténuer son action néfaste ou bien tout simplement l’expulser. Et il se trouve que notre plante du mois opte pour les trois solutions en même temps !

Parlons d’abord de l’absorption du sel : ce processus se réalise naturellement au niveau des racines, organes essentiels permettant à la plante d’assimiler les éléments du sol. A ce niveau, les racines du grand statice sont très « sélectives » : une paroi cellulaire interne fait office de mur protecteur, limitant ainsi la présence de sel en trop grandes quantités. La sélection se fait également au niveau des éléments présents dans le sol, dont certains seront « privilégiés » au détriment d’autres (en l’occurrence, le sel).
Ce filtrage n’est cependant pas suffisant, et du sel se retrouve alors dans les tissus de la plante. C’est alors qu’intervient un organite propre au monde végétal : la vacuole. Voyez ceci comme une sorte de sac rempli d’eau contenant plusieurs molécules, enzymes et autres composés divers. Ce sac étant perméable, il peut stocker ou libérer son contenu au sein de la cellule. Et c’est précisément au sein de cette vacuole que sera stocké le sel, de sorte à ce qu’il soit confiné dans une zone où il n’impactera pas le bon fonctionnement des cellules de la plante.
Mais à force de contenance, la quantité de sel dans la plante croît inexorablement. Reste alors une solution : expulser tout ce sel hors de la plante. Et pour ce faire, il faut aller voir du côté… des feuilles ! Ces dernières disposent de « glandes à sel » capables d’excréter et donc d’évacuer ce composé. Le feuillage se trouve ainsi moucheté de petits dépôts de sel, lui conférant une sensation rugueuse au toucher.
Au final, le sel absorbé au niveau des racines est évacué au niveau des feuilles, suivant le même trajet que l’eau. Et là encore, il n’y a pas de hasard, car l’eau et le sel sont tous deux liés au métabolisme de la plante.
Dans le monde végétal, tout est une question d’équilibre. Chaque cellule est partiellement poreuse, et laisse donc circuler des molécules, voire des liquides tels que l’eau. Ce mouvement d’eau entre deux cellules est lié à ce que l’on appelle l’osmose. Pour l’expliquer, imaginez deux cellules végétales contenant du sirop de grenadine. Dans la première, le sirop est très dilué (de couleur rouge pâle), dans la deuxième, le sirop est au contraire très concentré (de couleur rouge sombre). Pour que les deux cellules soient à l’équilibre (rouge moyen), l’eau contenue dans la première (peu concentré) migre vers la deuxième (très concentré) jusqu’à ce que le sirop soit dilué pareillement dans les deux cellules.
Ce phénomène s’applique ici avec la concentration de sel dans les cellules de la plante : plus les cellules contiennent du sel, plus elles vont « attirer » l’eau, à la manière d’un aimant. En passant de cellules salées en cellules salées, l’eau finit ainsi par remonter jusqu’aux feuilles, où se trouvent les dépôts de sels, autant dire du sel hyper-concentré !
La plante a ainsi tout intérêt à absorber et stocker partiellement ce sel, car c’est lui qui va permettre à la plante de faire monter l’eau depuis les racines jusqu’aux feuilles !

Limoniastrum monopetalum Limoniastrum monopetalum Limoniastrum monopetalum

Finalement, en dépit de ces conditions de vie qui nous semblent pour le moins difficilement supportables, force est de constater que sur la plage, il n’est pas d’être vivant qui soit aussi bien installé que des plantes comme le grand statice, et ce, sans avoir besoin de parasol, de bouteille d’eau ou de crème solaire…

Lenny Basso
Jardinier et guide-animateur au Domaine du Rayol