La plante du mois : Jubaea chilensis

La plante du mois : Jubaea chilensis

Le 18 janvier 2021

Ce mois-ci, bienvenue au Chili méditerranéen !
Parcourons ensemble les forêts, les vallées dans les contreforts des Andes et les coteaux ouverts des régions saisonnièrement sèches du Chili, à la découverte d’une plante emblématique, le Cocotier du Chili ou Jubaea chilensis pour les intimes.
Cette plante doit son nom au roi de l’ancienne Maurétanie, Juba II, passionné de plantes et de botanique, et à son origine géographique, le Chili.


Une famille de plantes très diversifiées

Jubaea chilensis fait partie de la grande famille des Arecacées. Si si, vous la connaissez, celle des palmiers. Cette famille compte près de 187 genres et 2 500 espèces dans le monde ! Ses espèces se retrouvent dans les forêts tropicales humides d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et d’Océanie. En Europe, il existe deux palmiers endémiques, le palmier nain (Chamaerops humilis) et le palmier dattier de Crète (Phoenix theophrastii).
Les palmiers sont rangés dans la même classe que le blé, la tulipe, le carex ou encore les orchidées. Eh oui, la botanique réserve bien des surprises ! Certains palmiers sont même lianescents comme le palmier jacitara (Desmoncus polyacanthos) dont les tiges sont utilisées comme du rotin !
Ils sont souvent décrits comme des herbes géantes, similaires aux dragonniers, nolines et certains yuccas. Ils font partie des monocotylédones arborescentes.


Un emblème chilien

Revenons à notre palmier chilien. Le cocotier du Chili possède des feuilles similaires au palmier dattier, il est actuellement le seul de son genre, endémique de la côte Pacifique et d’Amérique du Sud. Dans certaines zones, le nombre d’individus est tel que l’on parle de forêts.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a quelques siècles, sur l’île de Pâques (Rapa Rui), il existait un grand peuplement de palmiers. Auparavant, ce palmier était une ressource importante pour la population de l’île. Ils auraient aussi été utilisés comme rouleaux pour déplacer les statues Moai, emblématiques de l’île de Pâques. Aujourd’hui, cette espèce est éteinte. Des analyses de pollen ont montré que le palmier indigène de l’île était très proche du palmier chilien. Si bien qu’une des hypothèses suggère qu’il s’agirait du cocotier du Chili. On a retrouvé des fruits très similaires au Jubaea chilensis moderne mais sensiblement différents. On le retrouve sous le nom de Jubaea disperta. Cependant, aucune preuve actuelle ne permet de l’affirmer. Ce palmier a été nommé Paschalococos disperta en 1983.

Le Jubaea est souvent associé à des plantes comme le Lithi (Lithrea caustica), le bois de Panama (Quillaja saponaria), le mimosa du Chili (Acacia caven) et le boldo (Peumeus boldo). Plantes que vous pourrez découvrir au Jardin en parcourant le Chili méditerranéen ou d’altitude.

Sa distribution sur la planète et son évolution font qu’il est l’un des palmiers méditerranéens le plus résistant et tolérant au froid. Dans sa région d’origine, on peut le croiser jusqu’à 1 600 mètres d’altitude. Il peut survivre jusqu’à -15 degrés. C’est aussi l’un des plus austral de la planète après son cousin néo-zélandais, le palmier plumeau (Rhopalostylis sapida).
C’est un palmier massif, ce mastodonte peut atteindre 20 à 30 mètres de hauteur avec un diamètre atteignant 2 mètres et une circonférence allant jusqu’à 5 mètres au sol ! Il est reconnaissable à son stipe solitaire, lisse et grisâtre, plus large à la base qu’au niveau de la couronne de feuilles, lui donnant parfois une forme de bouteille.
Comme la plupart de ses congénères, Jubaea chilensis a une croissance lente, la sienne s’accélère à partir de sa 15e année. Pour vous donner une idée, dans son environnement naturel, les graines mettent 6 mois à 4 ans pour germer et ses premières feuilles apparaissent entre 3 et 8 mois !
Pour voir sa floraison à partir de juin dans le sud de la France, il faudra donc être patient, TRÈS patient… Elle intervient entre son 40e et 60e anniversaire. Ses inflorescences de près de 1,50 mètre portent des fleurs mâles et femelles de couleur jaune-orangé à la base des feuilles.

Fruits et graines de Jubaea chilensisCe palmier est un proche parent des genres Butia et Cocos. Il appartient à la tribu des Cocoseae. Il produit des graines ressemblant et ayant le goût des noix de coco, appelées coquitos. D’où son nom de Cocotier du Chili. Elles sont contenues dans des fruits jaunes dont la pulpe est comestible. Au Chili, la maturation des fruits s’effectue entre février et mai. Dans le sud de la France, nous pouvons en profiter à l’automne.


Mais… une espèce vulnérable

Historiquement et culturellement, Jubaea chilensis a été victime de son succès.
Il a été exploité pour ses fruits, pour faire des bonbons, et ses graines, qui ont une teneur en acides gras très élevée. Mais aussi ses feuilles pour fabriquer des vanneries, ses fibres pour la fabrication de papier et sa sève pour la fabrication de vin et de miel.
Une bonne année, il peut produire jusqu’à 10 000 fruits.
L’exploitation la plus connue de ce palmier est celle du vin ou du miel, qui lui ont donné le nom de palmier à miel.

Du guarango au miel de palme

Miel de palmierLa sève de ce palmier est riche en sucre, elle est appelée localement « chicha ». Elle a traditionnellement été récoltée puis distillée par les amérindiens Mapuches pour en faire de l’eau-de-vie (guarango) ou vin de palme et du miel. Le problème est que l’extraction de la sève nécessitait d’abattre le palmier et de couper des tranches de stipe régulièrement. La sève s’écoulait ainsi tous les jours et ce pendant des mois.
Aujourd’hui, la fabrication du miel, produit en chauffant la sève et utilisé comme édulcorant, est très contrôlée par la législation chilienne. Une autre technique d’extraction est appliquée : le palmier reste debout mais la méthode nécessite tout de même de défolier l’extrémité du palmier et de réaliser des entailles régulières dans la tige au sommet de la plante. Un récipient est accroché pour récupérer la sève. Un palmier peut donner jusqu’à 600 litres de sève ! L’extraction se réalise entre novembre et avril. Cette méthode provoque inexorablement la mort du palmier.

 

Du fait de son potentiel économique, ce palmier a été exploité de manière inconsidérée dans les écosystèmes forestiers chiliens. La conversion des forêts en terres agricoles et en pâturages a aussi son rôle à jouer dans ce déclin. Sans parler des incendies continus de la région qui diminuent le couvert végétal favorable à la germination des jeunes palmiers.
En réponse à cette forte pression, un décret datant de 1941 réglemente l’exploitation du palmier chilien ainsi que l’exportation de la plante et de ses produits (décret n°908 du 26 juillet 1941). Depuis 1971 s’ajoute une interdiction d’exploiter les populations naturelles au Chili. Aujourd’hui, il reste deux grandes zones protégées au sein de parcs nationaux : le parc de la Campana et le parc de las Palmas de Cocalan. Ces espaces sont gérés par la CONAF (Corporación National Forestal) dépendant du Ministère de l’Agriculture chilien. Ces mesures de protection ont été mises en place afin de permettre la régénération des populations naturelles locales.

Le Jubaea chilensis dans son environnement naturel, dans le Parc de la Campana

Octodon degusConnaissez-vous l’Octodon degus, petit rongeur indigène du Chili qui raffole des fruits et des jeunes pousses de palmiers ? Les deux espèces connaissent une relation de co-évolution depuis des milliers d’années. Le rongeur permet la dispersion des graines vers des milieux où celles-ci seront protégées pendant la levée du palmier. La plante quant à elle apporte de la nourriture à l’espèce en pleine période de reproduction. Cet animal, mi gerbille mi chinchilla, a un impact positif sur la régénération des cocotiers du Chili tant que la disponibilité des graines est suffisante.
Depuis 1998, l’espèce est classée sur la liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) comme espèce vulnérable.

En France, depuis quelques années, les palmiers sont touchés par des ravageurs tels que les charançons rouges des palmiers (Rhynchophorus ferrugineus) qui impactent leur survie. Jubaea chilensis est également sensible au charançon mais de rares cas ont été dénombrés. Au Domaine, certains d’entre eux ont été impactés. L’équipe des jardiniers a eu la difficile tâche d’arracher, de couper et de brûler ces palmiers pour limiter la propagation de ces ravageurs.


Un palmier à la mode

Le port de ce palmier a conquis son pays d’origine et s’est exporté à l’international. Au Chili, Jubaea chilensis a été utilisé pour décorer des avenues et les entrées des bâtiments importants. Ce palmier a été introduit en Europe dans les années 1840, notamment au jardin de Kew Garden à Londres. Aujourd’hui, c’est une espèce qui trouve sa place dans de nombreux parcs et places en Europe et dans les jardins de la Riviera méditerranéenne comme au jardin de Hanbury en Italie. Nous retrouvons encore des sujets centenaires en France, dont certains subsistent à la Villa Thuret à Antibes. Un beau spécimen est également visible au Parc du Cigalou à Bormes-les-Mimosas.
Ce palmier est assez rare en culture du fait de sa croissance lente. Il existe un hybride, le Jubutia (Jubaea chilensis x Butia capitata). Les caractéristiques de Jubaea chilensis et Butia capitata ont été réunies pour créer un hybride, le Jubutia, qui conserve une très bonne résistance au froid et une croissance plus rapide.

Lors de votre prochaine visite, vous pourrez apprécier différemment ce paysage du Chili méditerranéen. Pensez à ouvrir l’œil pour observer les jeunes Jubaea encore visibles.

Pauline Arnéodo
Jardinière et guide-animatrice au Domaine du Rayol

Sources :
– Dupuyoo Jean-Michel, Les palmiers de nos jardins
– Guzmán, Eduardo, Alcalde, José Antonio, Contreras, Samuel et Fernández, M. Paulina (2017). A review of the massive Chilean palm Jubaea chilensis. Caldasia, 39(2), 183-203.
– Albano Pierre-Olivier, La connaissance des palmiers, culture et utilisation, Edisud, 360 p.
– Chouard Pierre (1936) La nature et le rôle des formations dites « secondaires » dans l’édification de la tige des Monocotylédones, Bulletin de la Société Botanique de France, 83:10, 819-836, DOI: 10.1080/00378941.1936.10834040
– Núñez Hidalgo Ignacio Andrés, thèse : Importancia de Octodon degus sobre la regeneración natural de Jubaea chilensis (Molina Baillón) : una aproximación a dos escalas espaciales. (2018), 81 p.
http://www.theplantlist.org/1.1/browse/A/Arecaceae/
https://www.iucnredlist.org/species/38586/10128158
https://www6.sophia.inrae.fr/jardin_thuret/Historique
https://www.plantes-botanique.org/famille_arecaceae
https://www.conaf.cl/cms/editorweb/transparencia/marco_normativo/DTO-908_26-JUL-1941.pdf
https://museumtoulouse-collections.fr/la-tragique-histoire-du-palmier-de-rapa-nui/