Humeur de jardinier : anticiper, c’est (se) préserver…

Humeur de jardinier : anticiper, c’est (se) préserver…

Le 24 juin 2019

Les journées s’étirent, l’eau se réchauffe. Le ciel s’apprête doucement à revêtir son habit d’été. Les transats sont alignés sur un sable parfaitement ratissé. Glaciers, vendeurs de bouées, tous ont regonflé leurs stocks, n’attendant plus que la déferlante de vacanciers.
Mais nul besoin de voir. Il faut seulement écouter… C’est au brouhaha général des tondeuses, débroussailleuses et taille-haies thermiques, que nous sommes en mesure de deviner que les estivants sont sur le point d’arriver.

Si nous sommes dans une région où le tourisme fait vivre l’économie locale de façon saisonnière, nous avons tendance à vouloir imposer ce même rythme de saisonnalité aux jardins qui la composent. C’est oublier que la nature est faite de vivant, végétal ou animal, et que la symbiose des deux contribue à la création d’un écosystème.

La gestion de jardin consistant à le laisser dans un « quasi abandon » durant toute une partie de l’année pour, le moment venu, opérer un grand « nettoyage pré-estival » bien visible, est souvent assez brutale, pour tous les êtres vivants qui le constituent.
La procrastination n’a pas que du bon. A vouloir attendre le dernier moment, nous sommes généralement contraints d’opter pour l’outil le plus rapide et le plus performant, faute de temps. Nous choisirons donc de tailler une haie à l’aide d’une machine thermique, au détriment de la cisaille ou du sécateur. Quel dommage !
Le sécateur permet pourtant de descendre plus bas sur un rameau, de bien choisir son endroit de coupe et de respecter au mieux l’architecture naturelle de l’arbre. La cisaille sera plus adaptée pour certaines espèces de végétaux. Elle permettra d’avoir une coupe franche qui ne laissera pas la tige ainsi que la feuille à moitié hachées.
La taille à la cisaille ou sécateur peut certes paraître plus chronophage mais elle dure plus longtemps. Alors, entre faire trois passages par an avec son taille-haie ou un seul avec son sécateur, la seule réelle différence, au-delà du bien-être du végétal, sera que nous aurons peut-être eu le temps de voir ou d’entendre les locataires d’un nid, bien camouflés au milieu d’une haie.
Dans la même famille, la débrousailleuse est le parfait outil pour faire place nette en un temps record. Ce n’est qu’une fois harnaché comme un chevalier que le débroussailleur peut s’en aller « défricher » ! Pas de quartier, il faut nettoyer ! Et pourtant, dans certaines situations, il paraîtrait plus logique d’envoyer le destrier plutôt que le cavalier, à l’assaut des friches à désherber.
En peu de temps, il est possible de clôturer un espace pour ensuite y laisser pâturer des animaux qui, eux, vont faire par plaisir ce que nous aurions dû, nous, faire dans la douleur. Leur plaisir consistant à garder un milieu ouvert en arpentant un terrain tout au long de la journée, en se délectant au passage de tout ce qui peut être à leur convenance. Le tout se soldant par un engrais de bonne qualité qu’il est utile de réutiliser.
Chacun y trouve son compte. Si eux se régalent, nous, nous ne nous lassons pas de les regarder. Les insectes et plus petits animaux qui auraient risqué de se faire happer ou scalper ont, là, simplement le temps de pouvoir déménager.

Si la procrastination n’est certainement pas une solution, la fainéantise pourrait éventuellement en être une. Il s’agit bien entendu d’adopter une définition positive de la fainéantise, basée sur le bien fondé, le bon sens et l’interaction.

Charles Guerlain
Jardinier au Domaine du Rayol