Focus : Les plantes monocarpiques : elles n’ont qu’une seule vie… ou pas !

Focus : Les plantes monocarpiques : elles n’ont qu’une seule vie… ou pas !

Le 13 juillet 2021

Avez-vous remarqué qu’en ce moment, de trèèèès grandes hampes florales apparaissent au milieu de grandes rosettes de feuilles, longues, coriaces, vertes, bicolores ou argentées ? Elles pointent le bout de leur nez le long du littoral. Au bout de quelques semaines, elles se déploient et produisent des fleurs jaunes.
Ce sont des agaves.

Ces plantes originaires d’Amérique centrale se sont naturalisées sur nos côtes à tel point que certaines d’entre elles sont considérées comme des envahissantes (Agave americana).
Ces hampes florales vont rester pendant des semaines, voire des mois, jusqu’à ce que les fruits soient mûrs, que la plante sèche et… meure. Oui, tragique annoncé comme ça !
Les agaves sont, pour la plupart, des plantes dites monocarpiques…


Une fleur et puis c’est tout !

Commençons par le commencement, qu’est-ce qu’une plante monocarpique?
Le terme peut se décomposer comme tel : mono (une fois, unique) et karpos (fruit) en grec.
On parle donc de plantes qui ne fleurissent qu’une seule fois au cours de leur existence et qui meurent après avoir produit les graines.
Une espèce monocarpique peut être annuelle, bisannuelle ou vivace.
Une fleur, et puis c’est tout. Eh oui, certaines de nos plantes vont mourir après leur floraison. Et c’est un phénomène normal.


Sortez les fleurs, c’est le moment !

Jardin d'Amérique aride, inflorescence d'agaveLe moment de la floraison est crucial pour un végétal, afin d’assurer sa reproduction. Le phénomène est irréversible. Une fois lancé, il ne peut pas être stoppé, la production et la qualité des graines en dépendent.
Par ce biais, la plante passe d’un état végétatif à un état reproducteur.
Les plantes ont une phase juvénile pendant laquelle, même si les conditions le permettent, elles ne peuvent pas se reproduire.
Lorsque la période devient favorable et si la plante a atteint, comme chez les animaux, sa maturité sexuelle (oui, il y a de la sexualité chez les plantes aussi !), la floraison aura lieu.
Celle-ci est induite par les conditions environnementales extérieures (températures, périodes de froid, durée du jour). Un stress peut également déclencher la floraison.
Les plantes « attendent » le meilleur moment, une sorte de signal pour fleurir.
Ainsi, certaines espèces se développent pendant des années, voire plusieurs décennies, avant de fleurir pour la première fois. Durant ces années, elles accumulent de l’énergie et des réserves. Par exemple, les Agave americana mettent 10 à 20 ans avant de fleurir !

Pour ces espèces monocarpiques, à la suite de cette unique floraison, les plantes s’épuisent car les tissus sont endommagés. Les plantes mères peuvent perdurer pendant plusieurs mois, voire des années, avant de disparaître.


Un procédé rare ? Pas vraiment

Aechmea distichanta

Aechmea distichanta, dans le Jardin d’Amérique subtropicale

C’est un phénomène assez courant dans le monde végétal.
Chez les espèces cultivées, j’ai nommé le tournesol, mais aussi l’ananas (oui, de la famille des broméliacées, comme ses congénères, la plante produit un seul fruit).
On le retrouve chez différents genres de plantes : les Agaves (Agave victoriana, Agave americana) mais aussi chez certains Yuccas comme l’arbre de Joshua, des palmiers, Aeoniums (Aeonium tabuliforme), Aechmea, Puya, Kalanchoe, bambous etc…

Cependant au sein d’un même genre, toutes les espèces ne sont pas monocarpiques.

Aeonium, Jardin des Canaries

Aeonium en fleurs, dans le Jardin des Canaries

Les Aeoniums qui ne produisent qu’une rosette sont monocarpiques. Pour les autres, la plante se ramifie et même si la rosette qui fleurit se dessèche, une autre prendra le relais jusqu’à la fin de la vie de la plante.

Un palmier originaire d’Inde, le Talipot (Corypha umbraculifera) fleurit au bout 60 à 80 ans et produit une des plus grandes inflorescences du monde, qui peut atteindre 6 à 8 mètres de haut. Il peut vivre environ un siècle.
En ce moment, au Jardin, les Puya arrivent en fin de floraison. Quelques-unes de ces magnifiques plantes ne fleurissent qu’une fois en 70 à 100 ans, tel que Puya raimondii, originaire du Pérou.


 La survie…

Pollinisateurs sur agaveOn pourrait dire que les plantes ont le sens du sacrifice. Elles utilisent toute l’énergie produite au bénéfice des futures générations en fabriquant, en une fois, de nombreuses fleurs et graines.
Ces fleurs vont attirer beaucoup de pollinisateurs qui vont ainsi participer à la reproduction de la plante en transportant le pollen sur le pistil de la fleur. Le vent, les oiseaux vont aussi permettre la dissémination des graines.


…mais pas sans plan B !

En réalité, c’est la plante mère qui dépérit et meurt. Le génie des plantes fait que l’on aperçoit souvent des rejetons qui vont assurer la descendance.

Heureusement pour ces espèces, elles ne dépendent pas que des graines ! Elles réalisent aussi une reproduction dite végétative. L’idée est de recréer un bébé plante à partir de toutes les parties de tous les organes de la plante, hormis la fleur et le fruit : les racines, les tiges et les feuilles.
Ce mode de reproduction existe lorsqu’un bourgeon pousse et développe ses propres racines. Une partie de la plante se détache et se ré-enracine au pied du plant mère.
On les appelle les bulbilles, drageons…
Ainsi, quelques agaves continuent leur vie grâce à des bourgeons interfolaires, de petits agaves qui poussent entre les feuilles de la plante mère comme l’Agave striata.
La plante forme des clones. Et cela lui demande moins d’énergie !
C’est cette stratégie de la plante que l’on utilise lorsque l’on pratique le bouturage.

Que leur vie soit courte ou longue, ces plantes ont choisi une stratégie bien particulière. Elles donnent leur vie pour leur progéniture et assurent la perpétuation de l’espèce en multipliant les systèmes de reproduction.

Pauline Arnéodo
Jardinière et guide-animatrice au Domaine du Rayol

 

Sources :
Brice F. Les mots de la botanique, 2011, Actes Sud, p.196.
Parcy F. Mais qu’est ce qui fait fleurir les plantes ?, Pour la Science, Juillet 2009, n°381 : https://www.lpcv.fr/Documents/Pour_La_Science.pdf
https://www.florasuculenta.com/actualites/plante-monocarpique/
https://www.lescontessucculents.com/agave-p199748.html
© Photo couverture : Domaine du Rayol, Manon Rousseau