Faune des jardins : Les Phasmes de France

Faune des jardins : Les Phasmes de France

Le 20 septembre 2021

Où est l’insecte ?

Branche sur Colletia

Cherchez la bête dans la première image. Vous ne la trouvez pas ? C’est normal, ce ne sont que des tiges et des branches.

Bacillus rossius sur ColletiaEt sur la deuxième ? Non plus ? Ah là, mettez des lunettes !

Tels des ombres, ils se déplacent pour chasser. Ils se distinguent à peine et sont presque transparents dans la nature. Croyez-vous aux fantômes ?
Nous n’en somment pas loin. Les insectes dont nous allons parler portent bien leur nom. Phasma en latin veut dire « apparition » ou « fantôme ». Leurs allures et leurs formes leur permettent, par mimétisme, de se dissimuler tels une brindille, une feuille accrochée à une branche ou encore du lichen. Les phasmes sont des experts de l’imitation et de la dissimulation !

Ce sont des insectes nocturnes. Ils se déplacent essentiellement la nuit. De jour, ce sont les rois ou plutôt les reines du camouflage, mais nous y reviendrons…

Les phasmes se dééé…plaaacent… len…teee…ment… Ils sont tellement lents qu’il faut être patient et avoir l’œil pour les observer dans leur habitat naturel. A moins que vous en trouviez un par hasard accroché à votre mollet. Si c’est le cas, ne prenez pas peur, ils sont loin de piquer ou de mordre !
Ces insectes sont phytophages, c’est-à-dire qu’ils sont exclusivement végans. Ils mangent des plantes à toutes les étapes de leur vie grâce à leurs mandibules broyeuses qui leur permettent de découper les feuilles. De petits crochets au bout de leurs pattes et une substance collante leur permettent de s’accrocher aux tiges et aux branches.

Au jeu : « Tu me vois… Tu ne me vois plus », ils assurent à tous les coups, ou presque ! Les prédateurs n’ont plus qu’à rentrer bredouilles.

Les phasmes peuvent être immobiles durant des heures et peuvent aussi changer de couleur en fonction de leur environnement (température, luminosité, humidité), des saisons et de leur âge, les rendant quasiment impossibles à repérer. Ces changements sont plus ou moins rapides. En général, au printemps, la couleur verte prédomine et les jeunes peuvent se cacher plus facilement dans les herbes. En été, les phasmes deviennent kaki puis marron pour se confondre avec les branches des arbres.

Mais, dit Jamy, comment est-ce possible ? (petite référence à « C’est pas sorcier » qui a réalisé un épisode sur les phasmes : https://www.youtube.com/watch?v=wR_OD1stTCY).
Les pigments marron remontent à la surface de la « peau » et vont masquer les pigments verts et jaunes.

Cependant, tous ne cherchent pas à se camoufler. Certains ont des couleurs vives, des épines. La stratégie est alors inverse. Les couleurs vives et les piquants dans la nature tendent à dissuader les prédateurs car ils riment souvent avec toxicité.


Des espèces essentiellement tropicales

Il y a plus de 3 000 espèces de phasmes décrites dans le monde. La plupart se rencontrent dans les régions chaudes, dans les régions tropicales et équatoriales. Elles sont de tailles, de formes et de couleurs très variées.

Bacillus rossius adulte

Bacillus rossius adulte

En France, on trouve 3 espèces sans ailes (aptères) plutôt dans le sud : le phasme gaulois (Clonopsis gallica), le phasme espagnol (Pijnackeria masettii) et le Bacille de Rossi ou bâton du diable (Bacillus rossius). Cependant l’un d’eux, le phasme gaulois se répartit dans l’ouest et jusqu’à l’extrême sud et ouest de la région Île-de-France.

Elles ressemblent à des espèces de brindilles.

Les phasmes sont des insectes dits hémimétaboles, c’est-à-dire qu’ils réalisent une métamorphose incomplète. Les jeunes phasmes possèdent la plupart des attributs d’un adulte, excepté les organes sexuels. Ils muent 4 à 6 fois avant d’atteindre une taille définitive. En France, ils ont une vie courte. La dernière mue a lieu vers juin et ils vivent jusqu’à l’automne. Seul le bâton du diable peut survivre à l’hiver méditerranéen.

Les phasmes pondent entre 50 à 600 œufs au cours de leur vie, soit 1 à 3 œufs par jour. Ces œufs peuvent être soit enterrés (phasme ibère) soit éjectés au hasard. Oui, comme ça.
Si les phasmes adultes, pour la plupart, ne résistent pas à la période hivernale, les œufs, eux, le peuvent ! Ils entrent parfois en diapause. Le développement de l’œuf se met alors sur pause. Une période de froid (inférieur à 10°C) permet de lever cette dormance, qui pour certains peut durer deux ans ! Par la suite en quelques semaines, les œufs éclosent.

Ces œufs seraient également capables de résister à l’acidité du système digestif des oiseaux. Explication : tels des graines, les œufs des phasmes sont disséminés par l’intermédiaire des fientes des oiseaux. Ce qui permet aux phasmes de conquérir de nouveaux espaces.

Les phasmes se nourrissent là où ils vivent. Chaque phasme a ses préférences. Les Bacillus, assez rares, se repèrent sur les rosiers, les myrtes, les pruniers et les bruyères arborescentes. Le phasme gaulois se cachera dans les ronces, les rosiers mais également les genêts, les aubépines et les prunelliers. Le phasme espagnol raffole de la Doricnie à cinq feuilles ou la badasse ! Dorycnium pentaphyllum. Oui un nom qui en jette pour une petite plante très mellifère qui n’est autre qu’une sorte de lotier des garrigues.


Des espèces féminines, ou presque !

En France, pas de mâles… ou presque. Les phasmes se reproduisent en grande partie par parthénogenèse. La grande majorité des phasmes en France sont des femelles.

 

La parthénogenèse

Mais qu’est-ce donc ?
En résumé, c’est une stratégie de reproduction qui implique que les individus peuvent se développer à partir d’œufs non fécondés. Tout se joue au niveau embryonnaire.
Concentrons-nous sur ce qu’il se passe chez nos phasmes. En France, la méthode de reproduction des phasmes est la parthénogenèse dite thélytoque : étymologiquement assez parlant, « qui n’engendre que des filles ». Tous les œufs non fécondés des insectes femelles produisent des femelles reproductrices diploïdes (avec deux chromosomes).
Les œufs n’ont ainsi pas besoin de mâles pour être fécondés. C’est… génétique : les femelles ont donc deux chromosomes sexuels XX et les mâles n’en possèdent qu’un unique X0 (l’un des deux disparaît à l’état embryonnaire).
Les phasmes en France sont donc essentiellement des femelles. Eh oui, n’en déplaise aux mâles !

PS : chez les abeilles, il se passe une parthénogenèse arrhénotoque. Par opposition : « qui n’engendre que des mâles ». Les œufs des femelles non fécondés donneront eux, des mâles ou faux-bourdons.

 

Heteropteryx dilatata, exemple de gynandromorphe

Heteropteryx dilatata, exemple de gynandromorphe

Cependant, il existe quelques formes rares : des gynandromorphes…
Hum, ça se complique… Pour faire simple, des femelles peuvent se développer avec des caractères morphologiques de mâles reproducteurs.
Chez un même individu, il est possible de trouver des parties du corps correspondant à un mâle et à une femelle. L’animal peut avoir de manière symétrique un côté mâle et un côté femelle ou se prendre pour Frankenstein avec des mosaïques plus complexes.
Eh oui, la nature produit ses propres chimères…

C’est une anomalie que l’on trouve chez certains arthropodes (abeilles, papillons, crustacés) mais aussi chez les mammifères (oiseaux).

Incroyable, non? Et ce n’est pas fini !

Bacillus rossius forme lopides, en position de scorpion

Bacillus rossius forme lopides, en position de scorpion

Ces insectes n’ont pas montré tous leurs atouts ! Les prédateurs peuvent être dupés plus d’une fois par un phasme.
Ils possèdent des systèmes de défense plus ou moins perfectionnés. Certains vont prendre une position de défense pour effrayer les éventuels prédateurs. D’autres vont produire des gaz et orienter les jets.
Les phasmes sont aussi capables de se laisser tomber de leur branche et de « faire le mort » pendant quelques minutes, comme les scorpions. Cet état s’appelle la catalepsie.
Enfin, comme les limaces de mer (voir article sur l’élysie timide), les lézards et d’autres espèces d’arthropodes, les phasmes sont capables de sacrifier un membre de leur corps si besoin pour survivre.
Ces insectes possèdent une zone de moindre résistance entre le fémur et le thorax. Ainsi, lorsqu’un oiseau essaie de leur attraper une patte, la contraction brutale du muscle entraîne la cassure. Et tout ça en perdant tout juste une goutte de « sang » (qui est jaunâtre et que l’on appelle l’hémolymphe chez les arthropodes). Cette capacité est appelée l’autotomie.
Pour finir, les phasmes possèdent aussi une certaine capacité de régénération. Eh oui ! Pas aussi perfectionnée que d’autres, il faut en général trois mues pour reformer une patte, et cette dernière sera plus petite que les autres.

Le monde des phasmes est un univers passionnant. Il y aurait encore tellement de choses à dire…
Même s’ils sont considérés comme des acteurs neutres de l’écosystème, ils ont leur place dans l’environnement. Ils nourrissent les oiseaux, les mantes et d’autres prédateurs tout en faisant passer un peu de lumière à travers le feuillage des plantes lors de leurs repas.
Ces insectes survivent et continuent traan..quiii..lleee..ment de faire leur petit bonhomme de chemin…

Pauline Arnéodo
Guide-animatrice au Domaine du Rayol

Sources :
https://www.montamise.fr/le-pouvoir-extraordinaire-des-phasmes/
https://lpo-idf.fr/?pg=sp&sp=46
https://passion-entomologie.fr/histoire-evolutive-des-phasmatodea/
https://cdnfiles1.biolovision.net/www.faune-paca.org/userfiles/Phasmes/Phasme3.pdf
http://www.asper.org/france/cg.htm
http://www.asper.org/france/en_generali.htm
http://insectes.xyz/pdf/i182-tetaert.pdf
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/gynandromorphisme/38709
https://trustmyscience.com/premier-individu-moitie-male-femelle-chez-abeille-megalopta-amoenae/
https://www.nationalgeographic.fr/animaux/cet-oiseau-tres-rare-est-mi-male-mi-femelle
https://www.maxisciences.com/phasme/les-phasmes-ont-trouve-une-technique-fascinante-pour-survivre-a-leurs-predateurs_art40871.html
Photo couverture : Jeune Bacillus rossius © Domaine du Rayol, Pauline Arnéodo