Chronique marine : L’Élysie timide, une limace aux super pouvoirs !

Chronique marine : L’Élysie timide, une limace aux super pouvoirs !

Le 13 juillet 2021

Aujourd’hui, sortez vos loupes ! Je vais attirer votre attention sur un animal marin très particulier, qui mesure à l’âge adulte, accrochez-vous bien, 1 centimètre. Je vous préviens, vous n’êtes pas prêts pour tant de mignonitude. Il s’agit de l’Élysie timide.

J’espère vous donner envie de la chercher la prochaine fois que vous mettrez la tête sous l’eau. Parce qu’au-delà de sa toute petite taille, vous avez là, une merveille de la nature.
J’ai décidé aujourd’hui de vous parler des limaces de mer (je vous le concède, a priori, ce n’est pas très glamour) mais vous pouvez oublier l’image de la grosse limace, marron ou orange, sur sa laitue, dans un jardin un jour de pluie. Chez les limaces marines, c’est la Fashion Week : orange, violet, bleu, blanc, noir, taches, rayures, petites, grandes avec des panaches ou totalement camouflées. La diversité morphologique des limaces marines est incroyable. Au-delà de leur physique, elles ont en plus des capacités biologiques à la limite de l’imaginable. Il en existe plus de 3 000 espèces reparties dans toutes les mers et les océans. Elles peuvent vivre jusqu’à 700 mètres de profondeur et mesurent pour la plupart moins de 5 centimètres.

Thuridilla hopei

Thuridilla hopei

Felimare picta

Felimare picta


Une limace, oui, mais…

Malgré leur appellation de limaces, les espèces marines n’ont pas grand-chose en commun avec la limace terrestre. Ce sont toutes deux des mollusques (donc corps tout mou, pas de squelette) et des gastéropodes (du grec Gastropoda, « ventre-pied », donc assez imagé, un ventre qui se balade sur un pied).
La plupart utilisent leur pied pour ramper sur le fond, mais certaines l’utilisent pour nager. C’est le cas par exemple de la « Danseuse espagnole » (Hexabranchus sanguineus vivant en mer Rouge et en région Indo-Pacifique), qui ondule tout son corps en pleine eau, avec des mouvements qui rappellent les mouvements de la robe d’une danseuse de flamenco. Cette nage, ou danse, peut également être observée en Méditerranée chez d’autres espèces de limaces, qui elles, peuvent faire jusqu’à 40 cm de long, pour un poids de 2 kg : les Aplysie ou lièvres de mer (notamment Aplysia fasciata pour les mensurations impressionnantes citées précédemment).

Tethys fimbria

Tethys fimbria

Cratena peregrina

Cratena peregrina

 


Comment la reconnaître ?

Des limaces, des lièvres, revenons-en à nos moutons…
Toutes les limaces marines sont des Opisthobranches (mot compte triple) qui signifie « branchie en arrière du cœur ». Oui, elles n’ont pas de poumons, mais des branchies (plus pratiques pour respirer sous l’eau).
Beaucoup de limaces marines ont les « branchies à nu », c’est-à-dire non protégées par une coquille ou une partie du manteau, d’où leur nom : les « Nudibranches ». (Alors non, je vous arrête tout de suite, les limaces ne portent pas de toutes petites vestes, le « manteau », chez les mollusques, désigne pour simplifier, une enveloppe de peau contenant des muscles).
Donc, chez les nudibranches, les branchies forment généralement un panache visible, souvent très coloré, sur le dos de l’animal, prenant une forme qui change suivant les groupes. (Comme par exemple chez la Flabelline mauve ou Lagodive orange… N’hésitez pas à chercher à quoi ressemblent ces petits punks marins, ça vaut vraiment le coup d’œil !).
D’ailleurs, méfiez-vous, souvent dans la nature, la couleur est un avertissement pour les prédateurs (on parle d’aposématisme, du grec apó, « repousser », et sêma, « signal », je vous l’écris entre parenthèses pour ne pas vous faire paniquer). Donc un animal arborant des couleurs très flashy par rapport à son environnement, rime souvent avec un animal venimeux, toxique ou non comestible. On pense souvent aux dendrobates, ces petites grenouilles très colorées des forêts tropicales qui secrètent un poison très dangereux, voire mortel (non ? je suis la seule ? bon) mais vous avez des exemples autour de vous : les guêpes, les coccinelles…

Elysie timide

Elysie timide

Mais je ne vais pas m’attarder, revenons-en à notre limace. Celle dont je vais vous parler aujourd’hui, l’Élysie timide (Elysia timida) n’est pas un nudibranche (limaces punks) mais un Sacoglosse du grec sakkos, « sac », et glossa « langue ».
Pour vous aider à comprendre, je vais vous décrire un peu la tête de notre petite limace. Comme sur un escargot, elle porte deux petites antennes sur sa tête, mais contrairement à eux, ces antennes ne portent pas leurs yeux. Elles possèdent deux petits yeux noirs, situés à la base de ces antennes. Chez les limaces, ces antennes (rhinophores) détectent les particules chimiques présentes dans l’eau, notamment la nourriture, les phéromones d’un éventuel partenaire sexuel, ou la présence de certaines menaces. (Ce qui correspond du coup à leur nez, ou à leur langue, qui leur sert à sentir ou « goutter » l’eau). Comme chez ces espèces, ces antennes sont enroulées, cela forme des « sacs » contenant leur « langue ». (Et voilà, les sacoglosses).
Elysia a un corps élancé (à son échelle en tout cas, 2,5 cm au maximum), de couleur blanche parsemé de petits points rouges ou orangés sur l’extérieur. Mais quand elle déploie les bords de son manteau, elle dévoile une partie dorsale de couleur verte.


Des super pouvoirs insoupçonnés

Donc, si l’on résume… On se retrouve avec un tout petit animal sans coquille, juste un petit ventre mou sur un pied, qui rampe tout doucement sur le fond, dans un monde de brutes. On peut tout de même se demander comment ces animaux ont réussi à arriver jusqu’à notre époque sans se faire gober par le premier petit poisson venu.

Eh bien, en développant d’incroyables super pouvoirs comme : l’autotomie et la kleptoplastie. (Attention je vous avais prévenus, vous n’êtes pas prêts).
Quand l’Élysie déploie son manteau pour exhiber sa couleur verte, en fait, elle déploie de véritables panneaux solaires. Grâce à la kleptoplastie (littéralement de « voler des plastes »). En effet, cette limace herbivore, qui se nourrit d’algues, est capable de « voler » les cellules responsables de la photosynthèse dans les algues (chloroplastes) pour les utiliser à son compte. Elle ingère ces cellules, sans les digérer, les fait migrer dans son dos, et ainsi cette petite limace se retrouve capable, comme une plante, d’utiliser l’énergie solaire pour se nourrir. (On est bien petit devant cette Élysie.)

Second pouvoir incroyable de cette petite : l’autotomie. C’est la capacité qu’ont certains animaux à perdre une partie de leur corps volontairement et à le régénérer ensuite. Cette capacité est présente chez de nombreuses espèces à qui les prédateurs mènent la vie dure, comme le poulpe, l’étoile de mer ou le lézard. Ces animaux sont capables d’abandonner un tentacule, un bras, ou une queue pour s’échapper.
Cette capacité de régénération est depuis longtemps reconnue chez ces limaces de mer. Mais c’est en mars 2021 que des chercheurs japonais ont découvert à quel point elles l’avaient développée. En effet, elle est carrément en mesure de se décapiter, de séparer entièrement sa tête de son corps, et d’en régénérer entièrement un nouveau en quelques semaines. (https://youtu.be/ActUZWc9JFgMic drop)


Pour en savoir plus

Je pourrais continuer longtemps tant il y a à dire sur cette incroyable Élysie (je n’ai même pas abordé sa reproduction). J’espère vous avoir convaincus qu’il était parfois très intéressant de se pencher sur les espèces marines, même de très petites tailles.
Si les limaces marines vous intéressent, je vous conseille d’ailleurs un très bon ouvrage sur le sujet intitulé « Des limaces de rêve », de Sandrine Biecki.
L’Élysie timide est présente au Domaine du Rayol, nous avons même pu l’observer à pied, du bord, en ouvrant l’œil. Je vous invite donc à venir découvrir au plus vite les trésors de cet incroyable patrimoine marin à nos côtés.

Sarah Muttoni
Guide-animatrice sentier marin au Domaine du Rayol

© Photo couverture : Sarah Muttoni