Chronique marine : La murène, au-delà des préjugés

Chronique marine : La murène, au-delà des préjugés

Le 5 mars 2021

Bien souvent crainte et peu appréciée, j’aimerais réussir à vous faire changer d’opinion sur cet incroyable poisson qu’est la murène.

Je comprends qu’entre son corps un peu mou, serpentiforme, sa manie de se cacher dans des galeries ou des failles de la roche et de ne laisser sortir que sa tête, peu avenante, avec sa bouche pleine de dents, elle ne fait pas l’unanimité…
Mais, si vous parvenez à surpasser vos réticences, je vous assure qu’il s’agit là d’un animal incroyable.


Malgré les apparences, un poisson pas du tout agressif

Pour commencer, sachez que même si vous voyez juste sa petite tête sortir entre deux cailloux, aucune raison qu’elle ne vous saute au visage. La murène n’est absolument pas agressive. (Bon, après, faut pas la chercher non plus… Si on commence à l’embêter, elle se défendra. Et même si elle n’a pas de bras, elle a de quoi. On y reviendra…). C’est une espèce territoriale, qui vit isolée. Plutôt craintive, elle n’attaquera que pour se défendre, si elle se sent menacée. Il faut donc éviter de la déranger… et d’approcher ses mains d’une anfractuosité sans avoir vérifié la nature de ses occupants.

Même si vous la voyez ouvrir et fermer la bouche, elle n’essaye en rien de communiquer avec vous (déjà, parce que vous ne parlez pas murène !) mais surtout, parce que ses mouvements de mâchoires lui servent simplement à pomper l’eau pour mieux respirer. L’eau entre par sa bouche, passe au travers de ses branchies, puis ressort par de petits orifices arrondis à l’arrière de ses yeux.
Par contre si vous la voyez se plier et ouvrir grand la bouche, le message est plutôt clair : vous lui faites peur, elle est acculée, alors n’approchez pas. Mais elle choisira toujours la fuite en priorité.


En Méditerranée, la murène commune est… la plus commune

MurèneLes murènes ou murénidés (Muraenidae) forment une famille de poissons serpentiformes. On compte, dans le monde, environ 200 espèces, réparties dans 16 genres. La plus grande est la murène à longue queue qui peut atteindre 4 mètres de long. Les plus grosses murènes peuvent peser jusqu’à 30 kg. C’est le cas par exemple de la murène verte qui peut atteindre 2,30 mètres de long et peser jusqu’à 29 kg, mais elles ne sont pas présentes en Méditerranée.

Caractérisées par l’absence de nageoires paires (pas de bras), une peau lisse et épaisse sans écailles (elle est recouverte d’un mucus protecteur et facilitant ses déplacements), les murènes vivent à des profondeurs allant de la surface à une centaine de mètres. Elles passent la plupart de leur temps dissimulées dans des crevasses ou de petites grottes. Bien que plusieurs espèces se retrouvent régulièrement dans de l’eau saumâtre, très peu d’espèces peuvent être trouvées en eau douce.

En Méditerranée, l’espèce la plus courante s’appelle murène commune ou Murena helena. (Je m’appelle Hélène, je suis une murène pas comme les autres… Désolée. Hélène ferait en fait référence à la fille de Zeus).
Il est possible de confondre la murène commune avec la murène chocolat (Gymnothorax unicolor). Mais malgré une allure et des nageoires semblables, cette dernière est généralement de taille plus modeste (jusqu’à 80 cm) et a une tête plus arrondie. La murène chocolat, comme son nom l’indique, a un corps de couleur uniformément brun avec une tête plus foncée (elle est beaucoup moins commune en Méditerranée).
Elle peut parfois être confondue également avec le congre, (Conger conger), que l’on retrouve dans les mêmes biotopes, mais qui est pourtant bien différent. Le congre est de couleur grisâtre, présente une tête beaucoup plus allongée, de plus gros yeux, ainsi qu’une mâchoire aux lèvres épaisses caractéristiques.

Si vous vous promenez avec un masque (de plongée), sur le littoral, vous aurez peut-être la chance de croiser de jeunes individus de murène commune, d’une quarantaine de centimètres, mais c’est loin d’être sa taille maximale !
Adulte, elle peut atteindre 1,50 mètre de long. Les jeunes sont plutôt jaune-marron avec des nuances violettes et blanches, alors que les adultes perdent le jaune pour devenir plutôt blancs marbrés de marron.


Une mauvaise réputation de mordeuse…

MurèneElle affectionne tout particulièrement poulpes, calmars et seiches, mais elle consomme également des poissons, des crustacés et éventuellement des charognes (la plupart des prédateurs marins sont opportunistes).
La murène a développé une technique originale pour pouvoir ingérer une proie trop grosse : elle tord son corps pour former un nœud près de sa queue, qu’elle fait ensuite coulisser vers sa tête. Lorsque la proie est correctement placée et maintenue, elle projette sa tête en arrière et peut ainsi la déchiqueter. (Oui, c’est impressionnant, mais je vous rappelle que vous ne faites absolument pas partie de son régime alimentaire !).

Sa nage est gracieuse. Elle ondule comme un ruban et la forme de son corps lui permet de débusquer des proies, même dans de petites anfractuosités de la roche. Mais, n’étant pas très bonne nageuse, et ayant la peau sensible, elle reste en général à l’affût dans son repaire et attend qu’une proie passe à proximité.
Sa mauvaise réputation de mordeuse est d’ailleurs en lien avec le fait que de nombreux plongeurs et apnéistes se sont aventurés à la nourrir, pour la faire un peu sortir de son trou. Malheureusement pour eux, la murène, pourtant prédateur nocturne, ne voit pas grand-chose. Elle utilise essentiellement son odorat pour chasser. Donc lui tendre, à la main, quelque chose à manger, est clairement une fausse bonne idée.

Elle n’est ni venimeuse, ni électrique, mais sa morsure peut être dangereuse. Sa salive contient des sécrétions à action digestive, hémolytique et neurotoxique. De plus, il y a un risque important de surinfection, due aux souillures alimentaires interdentaires en putréfaction, qui ralentissent la cicatrisation. (Oui, la murène n’a pas une super hygiène buccodentaire…). Mais ce n’est pas faute de passer de temps en temps chez le dentiste. Si vous avez de la chance, vous pourrez même observer ce genre de scène en Méditerranée. Une petite crevette nettoyeuse, la crevette barbier de Méditerranée (Lysmata seticaudata), adore lui nettoyer la bouche, les dents, les branchies et manger les petits parasites sur sa peau (chacun ses goûts).

Ses narines sont pourvues de papilles très sensibles, qui lui confèrent un odorat très développé. Quasi aveugle, la murène utilise ce flair infaillible pour repérer ses proies, et ses dents tranchantes pour les capturer et les ingérer. Si vous regardez sa tête attentivement, vous verrez deux excroissances tubulaires au bout de son museau. Il s’agit en fait de ses narines.
Les narines des poissons n’ont aucune fonction respiratoire. Et oui, ça peut paraître évident, mais les poissons sont capables de sentir dans l’eau !

Ses mâchoires sont couvertes de longues dents, fines, pointues et dirigées vers l’arrière pour maintenir fermement leurs proies. Et elle ne dispose pas d’une, ni de deux, mais bien de 4 mâchoires (2 paires).
La première paire de mâchoires, située plus à l’extérieur, saisie la proie. Tandis que la seconde paire, située dans l’arrière-gorge, s’avance dans la cavité buccale, lui permettant de tirer sa proie vers sa dernière demeure.


Une espèce typique des fonds rocheux

Les conditions de reproduction des murènes sont encore mal connues à ce jour en raison de leurs mœurs nocturnes. Elles se reproduisent en été (de juillet à septembre) en déposant des œufs d’environ 5 mm de diamètre. Ces œufs produisent des larves aplaties, translucides et de forme ovale allongée. Les larves flottent et dérivent au gré des courants pendant environ un an, puis la murène descend en profondeur et devient un prédateur actif. Comme beaucoup de poissons, la murène passe donc une partie de sa vie dans le plancton sous forme de larve.

C’est une espèce typique des fonds rocheux, qui ne bénéficie d’aucun statut légal de protection mais qui serait de plus en plus rare, d’après les plongeurs sous-marins. Sa chair, considérée comme fine par certains, en fait une espèce très recherchée par les chasseurs depuis l’antiquité.
Mais comme il s’agit d’un prédateur, situé en haut de la chaîne alimentaire, elle peut accumuler les toxines et métaux lourds contenus dans ses proies.

On trouve souvent une origine fantaisiste de son nom se référant à un riche Romain, Licinius Murena qui aurait possédé d’immenses bassins dans lesquels vivaient des murènes apprivoisées qui venaient manger dans sa main. Selon cette légende, il y jetait les esclaves peu obéissants, d’où la réputation peu engageante de l’animal. Il devait d’ailleurs plutôt s’agir d’anguilles que les Romains conservaient dans des viviers (eau douce).

La baie du Domaine du Rayol étant plutôt fermée, protégée, elle constitue une véritable nurserie pour de nombreuses espèces de poissons. Nous avons eu la chance de croiser quelques jeunes murènes l’été dernier. Je vous invite donc à venir découvrir cet incroyable poisson à nos côtés, l’été prochain, lors de nos prochaines randonnées palmées.

Sarah Muttoni
Guide-animatrice sentier marin au Domaine du Rayol