La plante du mois : Hardenbergia violacea

La plante du mois : Hardenbergia violacea

Le 3 février 2020

En ce moment, de nombreuses plantes du Domaine du Rayol arborent la couleur du soleil. Pour le plus grand plaisir des visiteurs, les mimosas sont en fleurs ! Véritables stars de l’hiver, ces plantes se parent de…

« Dites donc ! Et nous alors, on compte pour du beurre ? Y a pas que des pompons jaunes dans le jardin, en cette période ! Non mais oh, quelle injustice ! Je m’en vais vous en toucher deux mots, moi. Parce qu’y en a marre de toujours être reléguées au second rang. Nous aussi on a plein de choses à vous montrer !
Comment ça « Qui êtes-vous » ? Nous sommes les Hardenbergia violacea, mais par ici, on nous appelle les salsepareilles australiennes.


Un petit air de famille ?

Je vous arrête tout de suite : je n’ai rien à voir avec la salsepareille d’Europe (Smilax aspera). Mon nom de genre Hardenbergia serait un hommage à la comtesse Franziska von Hardenberg, sœur d’un célèbre botaniste du nom de Carl von Hügel, qui a découvert et collecté bon nombre de plantes australiennes lors de ses voyages. Mon nom d’espèce, violacea, fait référence à la couleur de mes fleurs, bien que certaines optent pour le blanc…
Comme beaucoup d’autres plantes, mon nom commun ne me fait pas honneur… Sans doute m’a-t-on appelée « salsepareille australienne » parce que j’aime m’accrocher et grimper pour m’épanouir… Mais contrairement à certains de mes cousins à pompons jaunes, je n’ai pas d’épines !

Hardenbergia violacea Hardenbergia violacea Hardenbergia violacea

Quoi, vous ne saviez pas ? Les mimosas et moi, on est de la même grande famille : les Fabacées, également appelées les Légumineuses. Ah, ça vous dit quelque chose, n’est-ce pas ? On recense plus de 19 000 espèces différentes dans le monde. Qu’on se le dise : ça fait beaucoup de plantes à gousses ! Il a bien fallu mettre de l’ordre dans cette famille (très) nombreuse… Et à force d’études et d’observations, on a fini par déceler quelques caractéristiques chez certaines… C’est comme ça qu’ont été créées trois principales sous-familles.
Il y a les Mimosoïdées. C’est là qu’on retrouve les pompeux et pomponneux mimosas (Acacia, Acaciella, Mariosousa, Vachellia, ou encore Senegalia), mais également la sensitive (Mimosa pudica). Vous savez, cette plante dont le feuillage se replie lorsqu’on le touche.
Il y a ensuite les Cesalpinioïdées. Compliqués à dire, ceux-là, mais vous en connaissez peut-être un ou deux, comme le flamboyant (Delonix regia) et l’arbre de Judée (Cercis siliquastrum).
Et enfin, il y a les Faboïdées, nous-mêmes ! Là en revanche, vous en connaissez plein : haricot, fève, genêt, soja, pois, robinier, glycine. Tous sont de proches cousins. Et on vient de partout dans le monde, que ce soit d’Europe, d’Australie, d’Amérique du Sud, d’Afrique ou encore d’Asie. Autant vous dire que chez nous, les réunions de famille, c’est quelque chose…
Bon, c’est sympa tout ce beau monde mais au fond, qu’est-ce qui nous caractérise, nous ? Eh bien, c’est notre fleur.


La fleur-papillon

Mimosas ceci, mimosas cela… Tous n’ont d’yeux que pour les pompons jaunes ou blancs. Au moins, nous autres, les Hardenbergia violacea, avons des fleurs bien distinctes… Comment ça, « simples fleurs de pois » ? Avez-vous déjà pris le temps d’en observer une ? Approchez-vous donc, vous ne serez pas déçus.
Cette « simple fleur de pois », comme vous dites, est qualifiée de zygomorphe. Cela veut dire que la moitié gauche de la fleur est identique à la moitié droite (comme un visage) : on parle de symétrie bilatérale.

Maintenant, accrochez-vous un peu, on va parler de structure florale.
Hardenbergia violaceaNos fleurs possèdent cinq pétales inégaux. Le plus grand, dressé à la verticale comme une collerette, s’appelle l’étendard. A sa base, deux autres pétales partent vers l’avant, formant une paire de mandibules : on les appelle les ailes. En écartant légèrement ces ailes, vous apercevrez, sous leur base, une sorte de bec. Ce sont en fait deux pétales soudés entre eux, ce qui forme la carène (oui, comme la coque immergée d’un bateau). C’est cette carène qui protège les étamines et le pistil.
Oui bon, je sais, une fleur avec une collerette, des mandibules et un bout de pirogue, ça sonne pas très glamour. Mais ajoutez à votre étendard violet deux petites taches jaunes et des lignes sombres qui convergent vers le cœur de la fleur, et vous obtenez une petite merveille ! Le tout évoque la silhouette d’un papillon posé sur nos rameaux, les ailes repliées à la verticale. C’est pour ça qu’on parle de fleurs papilionacées !

C’est-y pas mignon, une bouille pareille ? En tout cas, les abeilles ne s’en plaignent pas, bien au contraire… Je n’apprends rien à certains, mais la pollinisation par les insectes, c’est toute une stratégie. Pour les faire venir, faut qu’ils y trouvent leur compte, ces affamés. Et pour que nos fleurs soient fécondées, faut échanger du pollen. Et à ce titre, nos « fleurs-papillons » sont bien pratiques !


Les bons comptes font les bons amis

Première étape : attirer l’insecte. Pour ce faire, certaines dégagent une odeur que nos amis à six pattes suivent jusqu’à en trouver la source. Chez les Faboïdées, on est pas trop portées sur le parfum, à part quelques exceptions… Notre truc à nous, c’est plutôt le visuel. Pour tout vous dire, les abeilles, on leur fait de l’œil. La bonne nouvelle, c’est que les abeilles perçoivent le violet et le jaune. Donc notre petit « masque » dessiné sur notre étendard mauve, avec ses petits yeux jaunes, fait son effet.

Deuxième étape : diriger l’insecte. Comme une majorité de plantes à fleurs, les nôtres sécrètent du nectar, ce sirop sucré dont raffolent bon nombre d’insectes. Mais ce sirop, chez nous, il est bien caché, car ça se mérite, du sucre d’Hardenbergia ! Et il faut l’avouer, il n’est pas évident pour un insecte de deviner au premier coup d’œil comment atteindre le nectar de nos fleurs. C’est là que les lignes sombres qui partent du cœur de la fleur entrent en scène. Les abeilles les distinguent très bien, c’est un véritable balisage ultra-violet. Pratique pour éviter de se faire piétiner et mordiller dans tous les sens, au risque d’endommager la fleur et de perdre notre pollen.

Hardenbergia violaceaTroisième étape : déposer du pollen sur l’insecte. Rappelez-vous la carène : deux pétales partiellement soudés, entourant les appareils reproducteurs mâle et femelle. Lorsque l’abeille cherche à boire le nectar, elle se pose. Cependant, le seul perchoir « solide » sur notre fleur, c’est cette fameuse carène. Sous le poids de l’abeille qui s’y accroche, les deux pétales s’abaissent, et laissent alors dépasser les étamines et le pistil, qui viennent frotter le menton de l’abeille. Des grains de pollens s’y fixent, tandis qu’elle s’abreuve de nectar. Pas mal, hein ? Tout en finesse…
Ainsi, en allant d’une fleur à une autre, la butineuse perd quelques grains en se frottant contre les pistils mais en recueille de nouveaux au contact des étamines. Une véritable barbe, faite du pollen des différentes fleurs visitées. Abeille nourrie, pollen échangé : tout le monde y gagne !

Vous voyez ? En nous accordant quelques minutes, mes cousines et moi pouvons vous apprendre plein de choses ! Nous n’avons peut-être pas la couleur pure du soleil, mais nous savons embellir des arbres et des clôtures, tout en faisant vibrer les jardins, au son des abeilles qui nous rendent visite. Pensez donc à venir nous voir, vous aussi ! »

Lenny Basso
Jardinier et guide-animateur au Domaine du Rayol